Je reviens tout juste du Festival de Cannes. Je m’étais promis que je monterais les marches avec mon premier film pour cette date anniversaire (70 ans). Bon, c’est vrai, j’ai monté ces fameuses marches quand même mais pas parce que mon film est en compétition. En fait, il n’est même pas encore tourné. Bon d’accord, il n’a même pas de producteurs.
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu faire du cinéma. Cela fait maintenant plusieurs années que ma vie a pris un tournant radical : de l’humanitaire et des missions de protection de l’enfance aux plateaux de cinéma. J’ai pris les chemins de traverse pour en arriver à l’acceptation d’une certitude : je ne pouvais pas faire autrement que de raconter des histoires, mettre les émotions en images.
3 jours à Cannes. 3 scripts sous le bras : un documentaire sur les dragqueens au Canada; un long métrage sur la photographie, que j’ai écrit en anglais et que j’ai piché une dizaine de fois à Los Angeles (j’ai le pied international, que voulez-vous; je tente le tout pour le tout partout où je passe, c’est ma règle.) et le dernier scénario: un hommage à ma mère, doublé d’une histoire d’amour impossible et sur fond de malaise social -mon scénario le plus personnel, qui n’a plus de producteur et qui est pourtant soutenu par des acteurs « à noms » (mais je ne sais pas encore si je peux les dire ici, même si j’ai bien envie quand même. Faut peut être que je leur demande? Je m’y connais pas trop en internet). Bref, je ne chôme pas et j’ai FAIM de TOURNER.
De manière générale, c’est difficile de faire un film –comprenez : c’est le parcours du combattant avec les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, surtout quand vous ne connaissez personne et que vous devez passer les premières années à vous bâtir le fameux carnet d’adresses – mais en tant que femme, c’est encore pire. A peu près 50% de femmes sortent d’écoles de cinéma, pourtant, arrivées sur le marché du travail, on est loin du moitié/moitié, et nous ne sommes plus que 23% à être réalisatrices (chiffres tirés du Rapport du CNC). Mais bon sang de bon sang, où sont passées les autres ? ?
Depuis 5 ans que je me bats pour faire vivre mes films, j’en ai vécu des aventures et entendu, des phrases qui plombent les ailes (Sérieux, elles sont tellement plombées que je ne sais même pas comment je fais pour avancer encore). « Vous n’avez rien fait avant ». « Votre film est trop ambitieux ». « Vous êtes peut être encore un peu verte -ça veut dire quoi? Je suis pas un fruit-« . Et ma préférée: « Désolée, on a déjà une femme ».
Avec le temps, je suis devenue révoltée. Comment ne pas l’être en voyant la photo publiée par le Festival de Cannes des derniers réalisateurs palmés, montrant une brochette d’hommes (très talentueux, c’est indéniable) blancs et de plus de 50 ans et puis tout au bout, un peu timide et semblant mal à l’aise: la seule et unique femme ayant un jour reçu une Palme (et encore, cette année là, elle était partagée avec Chen Kaige pour Adieu Ma Concubine. C’était en 1993): la brillante Jane Campion…
Une seule femme, pas de black et certains réalisateurs qui ont, semble-t-il, un abonnement à la sélection officielle (j’ironise à peine).
Bon, c’est vrai que c’est plombant, surtout quand on voit le temps passer et qu’on a l’impression d’en être au même point. Le film est pas tourné, quoi. Malgré cela, j’y crois toujours dur comme fer. Rien n’ a pu entamer mon enthousiasme jusqu’à maintenant.
(Mais quand même. Ce n’est pas juste. Merde!).
Je crois à l’égalité. C’est la raison pour laquelle, je suis féministe. On ne peut pas ne pas l’être aujourd’hui. Ce mot est bien trop souvent considéré comme péjoratif. Il n’en est rien. Être féministe, c’est défendre l’égalité.
Cette année à Cannes, j’ai eu moins de rendez-vous que d’habitude mais j’ai assisté à plusieurs évènements sur la place des femmes dans le cinéma et notamment grâce au réseau EWA (European Women’s Audiovisual Network) et en prenant des cafés dans les petites rues un peu plus calmes de l’arrière-Croisette, j’ai rencontré des personnes merveilleuses: une réalisatrice de Bollywood (Il n’y en a que 4 ou 5), une directrice de la photo qui se bat pour vendre un magnifique documentaire sur la situation des femmes en Somalie, une comédienne luttant pour exister après avoir passé le fatidique cap des 50 ans (Cf: le Tunnel des 50, excellente initiative créée par Marina Tomé). J’aurais bien voulu assister aux conférences de Women In Motion mais ils ne sont jamais revenues vers moi. C’est vraiment dommage parce qu’il se trouve que j’en suis une vraie: Woman in Motion.
J’ai décidé de documenter mon parcours de la combattante qui fait son premier film.
Je prends la parole car on ne me l’a encore jamais donnée. Je veux vous décrire ma route au fur et à mesure que j’avance à petits pas, que je recule quelque fois, sur le chemin sinueux vers mon premier film. Je me suis dit que cela pouvait faire du bien: aux femmes, aux hommes, ceux qui sont en manque d’encouragement, ceux qui doutent, qui ont envie d’abandonner… Et puis, ça va me faire du bien à moi aussi.
Le partage de mon histoire commence donc ici. Je suis Naty Bienvenu. Réalisatrice. Scénariste. Actrice. Féministe.